De 1729 à 1769, dans un long effort de quarante ans, peu à peu et a tâtons, s'est faite la construction de la nation corse. Dans les dernières années de cette période ne peut être niée l'existence d'un Etat possédant toutes, ou quasiment toutes, les marques de la souveraineté. drapeau, monnaie, armée permanente (et même une flottille battant pavillon à tête de maure), imprimerie nationale, gazette officielle, université.
Deux choses seulement lui manquent: la possession entière du territoire national (les cités maritimes, Bastia, Ajaccio, Calvi, Bonifacio sont toujours aux mains des Génois) et une reconnaissance de jure des puissances qui aurait confirmé une sorte de reconnaissance de facto qui lui avait été accordée par certaines. Et cet Etat ne se confondait pas avec la personne de son chef Les institutions étaient celles de la République, même si le terme de république ne fut jamais utilisé parce qu'il rappelait le nom de la République de Gênes.

En 1768, après d'obscures tractations, Gênes, qui savait la Corse perdue pour elle et pressentait que la mer Tyrrhénienne ne serait plus la route tranquille de son commerce, décida de se débarrasser de l'île au meilleur profit possible. Elle la vendit purement et simplement à la France, pour deux millions de livres payables à tempérament. Ainsi la République ligure et la Monarchie française avaient traité comme du bétail un peuple qui, sur le plan des Institutions Politiques était en avance sur elles, et qui avait gagné, avec son indépendance, le droit de disposer de lui-même.

Louis XV et Choiseul comprirent vite, d'ailleurs, qu'ils avaient, en l'occurrence, acheté la peau d'un ours toujours bien vivant. Les marchandages du ministre français n'abusèrent pas les Corses rassemblés autour de Pasquale Paoli. L'une des deux plus puissantes monarchies d'Europe dut mettre le paquet - des expéditions années de plus en plus étoffées, pour venir à bout militairement, avec 30 000 hommes puissamment équipés, de 12 000 paysans corses. Ces paysans avaient été intelligemment organisés et encadrés par Pasquale Paoli. Les hommes de 16 à 60 ans devaient effectuer leur service dans les milices, mais ils étaient mobilisables par tiers seulement, pour des motifs de répartition d'armements et surtout pour ne pas désagréger la vie économique de la nation. C'est la raison pour laquelle il n'y avait que 12 000 hommes en lice, sur les 36 000 que représentait l'ensemble des mobilisables, dans la bataille de Ponte Novu.

Si l'on cherche à préciser les caractères de ce que les contemporains appelaient "la Révolution de Corse" et à lui donner une place parmi les mouvements similaires de lEurope occidentale, l'aspect de libération nationale prévaut sur celui de révolution, c'est-à-dire de lutte dune classe afin den chasser une autre du pouvoir. Un autre caractère qui particularise la Révolution de Corse est la nature de la classe qui en a pris le commandement. Ca n'a pas été, comme ailleurs, une bourgeoisie urbaine et commerçante. D'un mouvement né de l'intérieur de l'île, la direction fut prise par une classe de notables ruraux dont la fortune venait de la terre. La construction nationale corse s'en est allée à la dérive. La faute en est revenue aux armes du roi de France, mais aussi à certaines faiblesses internes. Parmi la classe dirigeante de la Révolution de Corse, seule une minorité éclairée par la stimulation de Pasquale Paoli avait le projet politique de faire de la Corse une nation indépendante, ou au moins autonome. Ce manque de maturité politique chez les notables, cette impuissance à s'identifier à une nation (qui peut s'expliquer par le faible avancement de l'économie) a été d'un grand poids sur le destin du peuple corse.

La défaite insulaire ouvrit naturellement la Corse à l'occupation coloniale. Mais elle ne mit nullement fin à la résistance du peuple corse. C'est un mensonge historique criard de transformer Ponte-Novu en une sorte de baroud d'honneur après lequel les Corses, ayant en somme satisfait leur conscience, se seraient jetés dans les bras du vainqueur. Dès le début de leur conquête, les autorités françaises, pour asseoir leur pouvoir, durent bannir des familles entières de patriotes, arrêter ceux-ci, les torturer, les déporter à Toulon (où beaucoup périrent noyés), procéder à des exécutions sommaires, détruire les maisons, les récoltes, les villages même. Et pourtant les Corses continuaient de réagir, courageusement, un peu partout, dans le Niolu, le Nebbiu, le Fiumorbu, pour tenter de vivre libres. On peut écrire que de 1769 à 1820 la Corse fut le banc dessai des colonnes infernales françaises, avant la conquête de l'Algérie. Quelques noms sont restés accrochés au souvenir de ces années de répression, Marbeuf, Sionville, Vaubois, Morand...

Nous savons bien qu'aujourdhui certains historiens font des pieds et des mains pour démontrer que la Corse entière, sous un déluge de rubans à trois couleurs, s'était donnée pour toujours à la Nation française en 1789. Mais, outre que le pour toujours n'a duré que cinq ans, leur argumentation confond trop Révolution française et nation française, elle oublie les manifestations populaires anti-françaises de 1789 et surtout elle se préoccupe peu de chercher la signification de ces cocardes bénies. Les Hongrois qui, en 1956, dressaient des drapeaux américains dans les rues de Budapest, considéraient ce geste comme un signe de liberté, pas comme celui d'un régime économique et social précis. De la même façon, il semble que la Révolution française ait été comprise par les paolistes comme la revanche de Ponte Novu.

On ne peut pas plus considérer la rupture avec la France en 1794 comme un simple épisode local de l'insurrection fédéraliste. En fait les Jacobins et Paoli ne parlaient pas le même langage. Le malentendu était dans la parole liberté qui, pour les premiers, signifiait liberté de l'individu dans une France centralisée, et qui pour Paoli signifiait liberté pour le peuple corse de se gouverner selon ses lois sous la protection de la France. Cette faculté lui ayant été niée par la France révolutionnaire comme elle l'avait été par la France monarchique, Paoli s'est tourné vers l'Angleterre pour tenter de l'obtenir. En procédant ainsi, il se maintenait dans la droite ligne de sa politique de toujours définie depuis 1756: souveraineté de la Corse sous la haute protection de l'une des deux puissances navales les plus importantes de Méditerranée, la France ou l'Angleterre.

 

Autonomia U.P.C.

 

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